

Mais, même s’il est vrai que les Divertimenti répondaient à une fonction
aussimodestequecelled’uneTafelmusik,celaexclue-t-ildeleurreconnaître
une valeur musicale de premier plan ? Le génie particulier de Mozart ne
consisterait-il pas précisément à surmonter toutes les contingences et
écrire un chef-d’œuvre précisément là où on n’attendait qu’une pièce
superficielle et frivole ? à transcender le genre modeste de la musique
pour harmonie ? à immortaliser le caractère éphémère du divertissement ?
Remarquons que Mozart lui-même ne tenait sans doute pas la musique de
table pour un genre aussi indigne puisqu’il n’hésita pas à l’utiliser dans l’une
des pages les plus importantes de toute sonœuvre, à savoir la scène finale de
son
Don Giovanni
(1787). Le petit groupe d’instrumentistes à vent accompagne
le dernier festin du grand seigneur, méchant homme, dans une forme de
divertissement au sens quasi-pascalien : pour faire oublier au jouisseur,
dans l’ivresse de la musique et la consommation de la nourriture, l’irruption
imminente de lamort qu’il a convoquée, comme un ultime sursaut de frivolité
et de joie de vivre dans l’horizon de l’effroi et du néant qui guette le dissoluto.
La fonction de musique de table ne doit pas être tenue nécessairement
pour dégradante, si l’on considère, par ailleurs, le plaisir de la table tel qu’il
se développe dans la deuxième moitié du dix-huitième siècle : comme une
forme de célébration ostentatoire du pouvoir et de la richesse, certes, mais
aussi comme une forme d’œuvre d’art, en tous les cas l’objet d’une stratégie
de distinction qui vise l’agrément hédoniste de la sensation, ici auditive, là
gustative, dans une même affirmation esthétique de la vie. Tout passe ici
par un même plaisir de la bouche, les sons produits par les instrumentistes
comme les mets dégustés par les convives.
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