

Il est certain que Mozart n’a pas abordé la musique pour harmonie d’une
façon fondamentalement différente de la symphonie pour orchestre ou du
quatuor à cordes, bien que ces genres fussent considérés comme plus nobles :
il a cherché, au contraire, à donner ses lettres de noblesse à l’ensemble
d’instruments à vent, en cherchant à transcender, par une forme de défi,
les contraintes inhérentes à ce genre, qui seules amenaient à le considérer
comme mineur.
Quoique déjà partie intégrante de l’orchestre, il ne faut pas oublier que les
instruments à vent étaient encore à cette époque les nouveaux venus de
la musique aux origines roturières, les instruments de l’Écurie, destinés à
la chasse, à la guerre, à la musique de plein air, aux signaux, au vent et à la
boue, aux intempéries et aux oreilles peu délicates. Désormais ils pouvaient
être conviés dans les jardins, et bientôt dans les salons, au même titre que
les violons, les flûtes, les violoncelles et les clavecins et rivaliser même avec
les instruments à cordes dans les formes savantes et concertantes où ceux-ci
s’illustraient. Mais il fallait pour celamasquer leurs origines et leurs infirmités.
Mozart a relevé précisément ce défi de faire entendre les instruments
à vent comme s’ils étaient des instruments à cordes, ou mieux encore
des chanteurs d’opéra, avec la même liberté et délicatesse, les mêmes
dynamiques, les mêmes tessitures, les mêmes nuances, les mêmes
possibilités demodulation, lamême expressivité ! Il fallait tricher, au risque
de torturer les instrumentistes, afin de procurer l’impression de la plus
totale aisance. Seul un compositeur accoutumé à se mesurer à toutes les
formes de la musique, à faire valoir tous les instruments, un compositeur
d’opéra, pouvait assigner une telle exigence à lamusique pour instruments
à vent, sous réserve de la présence d’un ensemble d’harmonie exceptionnel.
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