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C’est un palais qui possède une âme dont la quintessence se trouve
peut-être dans son Théâtre byzantin, au charme trouble. C’est d’ailleurs
en ces lieux que s’est tenue à l’époque une avant-première du
Requiem
de Fauré. Pendant des dizaines d’années, le théâtre est resté hors
service. La scène avait été emmurée. Jusqu’à ce que des travaux soient
entrepris et qu’il ouvre à nouveau ses portes en 2011, soit à la veille de
mon intégrale. Une chance. Comme celle d’avoir été soutenue par
La Dolce Volta et d’avoir rencontré l’ingénieur du son François Eckert qui n’a
pas hésité à me suivre dans cette aventure complètement excentrique.
Quand j’ai démarré l’intégrale, je savais les deux tiers des morceaux. Les
Marches
, l’
Albumblätter
, les fugues, les fuguettes, figurent rarement au
répertoire des pianistes. Parfois à raison, notamment pour les fugues,
assez absconses. Mais les fuguettes ont un charme fou ! Sans parler des
pièces opus 32. Les
Intermezzi
ou les
Impromptus sur un thème de Clara Wieck
sont aussi extraordinaires que peu joués. On trouve, notamment dans les
Impromptus
, un Schumann très proche de Bach dans l’esprit polyphonique.
Sa musique peut devenir presque théorique, déconnectée de l’instrument.
On pourrait parfois parler d’une implosion de l’esprit. D’un fleuve qui déferle
sur des digues jamais assez solides. Il faut avoir un amour démesuré pour
sa musique pour s’engager dans un projet de cette nature. Je le dois à mon
tempérament idéaliste… D’ailleurs, à une époque, j’avais été tentée par
la philosophie. J’ai terminé mes études en 1991, au moment des dernières
années les plus tenaces du règne de Ceaușescu. Le matérialisme était la
seule pensée tolérée. De mon côté, je versais plutôt du côté de Platon et de
George Berkeley. Des philosophes hautement subversifs ! Le subjectivisme,
l’idéalisme étaient justes mentionnés pour être critiqués et anéantis.
DANA CIOCARLIE