

36
J’ai commencé par aborder Schumann avec l’
Album pour la jeunesse
mais
c’est vers l’âge de quatorze ans que je me suis véritablement plongée dans
son univers, avec les
Études symphoniques
, la première Sonate, le
Carnaval
,
les
Scènes d’enfants
… Je me sentais en phase avec ce compositeur. Peu à peu,
je réalisais que son monde intérieur, le paysage de ses affects m’était très
familier. C’est comme si je pénétrais dans un pays dont je reconnaissais la
langue. Sa musique m’était beaucoup plus naturelle que celle de Chopin
qui m’apparaissait en comparaison très classique. Il y a chez Chopin une
perfection qui n’existe pas chez Schumann. Ce dernier au contraire possède
cet élan qui balaie tout, cette sincérité à vif, cette urgence. Il saute d’une
humeur à l’autre sans transition, de façon anarchique. Je me sentais en
adéquation avec cet aspect fantasque et rugueux. Sa polyphonie peut être
âpre, difficile pour les auditeurs. Schumann, contrairement à Liszt, n’est pas
un séducteur.
Lorsque j’étais adolescente, je me suis rendue en Allemagne de l’Est, à
Zwickau, la ville natale du compositeur, pour passer le Concours Schumann.
Cette ville de Saxe n’était pas très hospitalière. Détruite pendant la guerre,
elle avait des allures de caserne. Mais l’âme de Schumann y est encore très
présente. Sa maison natale est toujours debout, une salle de concert porte
son nom et il existe une ferveur locale pour sa musique. Sur place, je me suis
sentie vampirisée par sa présence. J’avais le sentiment d’éprouver ses maux
physiques, psychiques, de fairemiennes ses souffrances. Il faut dire aussi que
j’avais dû assimiler une vingtaine d’œuvres de son corpus. Il m’habitait. Je suis
repartie avec le Grand Prix.
SCHUMANN_INTÉGRALE LIVE DE L'ŒUVRE POUR PIANO SEUL