

8 CHARLES-VALENTINALKAN
Et sa musique demande beaucoup à l’interprète qui devient
presque un médium…
Comme chez Scriabine ! Si on n’est convaincu qu’à moitié par la musique d’Alkan,
mieux vaut ne pas la jouer. C’est une musique qui demande un tel investissement
musical, physique et intellectuel ! C’est aussi sans doute pour cela que sa musique
est peu jouée aujourd’hui. Il faut accepter de passer du temps à décrypter son
langage, à appréhender son style, se laisser immerger par sa poétique. Une fois
que l’on plonge dans son univers, on a beaucoup de mal à le quitter. Avec lui, on
a souvent l’impression que la musique n’est pas faite pour le public tant elle est
codée. Prenez sa sonate par exemple : le chiffre 4 est omniprésent: 4 âges, 4 thèmes
représentant 4 personnages (Faust, Marguerite, Dieu et le Diable) dans le Quasi-
Faust, 4 mouvements, cellule de 4 notes récurrentes (hommage probable à Bach)
tout au long de l’œuvre, etc... A l’interprète toutefois de rendre son œuvre aussi
immédiate que possible, de remonter à la source de la géniale intuition de laquelle
elle a émergé.
Va-t-il aussi loin, harmoniquement, que les dernièresœuvres de Liszt ?
Oui et non. Ses audaces harmoniques se trouvent par exemple dans les
dissonances, dans les « accidents », dans une façon bien singulière de vouloir parfois
violenter l’auditeur ou simplement ne se fixer aucune limite; et ceci est souvent lié
à un prétexte littéraire ou réaliste, alors qu’on a le sentiment que Liszt, malgré la
profusion de titres donnés à sesœuvres, laisse lamusique se développer par et pour
elle-même. Il y a une forme de lâcher-prise chez Liszt que l’on trouve à mon sens
beaucoup moins fréquemment chez Alkan. Il est pour moi un créateur ancré dans
la terre, dans la glaise, et qui monte, à force de combats épiques, vers le ciel.