LDV68

Chez Brahms, avant la clarinette, il y eut le cor. Deux instruments et deux amours dissemblables, qui évoquent des récits différents ; la légende et la nature pour l’un, l’intimité la plus prononcée pour l’autre. Et aussi deux époques différentes, celle de la jeunesse glorieuse, avec sa puissance et son souffle, puis celle de l’âge, avec son renoncement, son intériorité aussi, commune aux deux périodes, mais qui prend désormais toute la place. La jeunesse chante vers l’extérieur, le cor est ouverture et séduction quand la clarinette exprime sans éclat le crépuscule des choses et des êtres. Deux visions de l’or de la vie, comme on dirait du soleil : sa magnificence royale d’un côté, son aspect mordoré et déclinant de l’autre ; de son midi à son coucher. Loin de la noblesse inhérente au cor, il y a un ton à la fois résigné et méditatif dans le timbre de la clarinette qui convient à merveille aux derniers épanchements brahmsiens ; au point même qu’il la transpose (inconsciemment ?) dans ce qui constitue probablement sa plus belle pièce pour piano de la fin, l’Intermezzo op.118 n° 6 dont le thème d’entrée imite au plus près la courbe et le timbre de l’instrument à vent ; vent comme souffle, qui se raréfie au cours du temps… et où la parole, plus rare, est d’autant plus précieuse — et profonde. Une sérénité étonnante ressort des ultimes pages pour clarinette, qui figure parfaitement cette « tristesse du plus profond bonheur » qu’évoque Nietzsche dans Le Gai Savoir. GEOFFROY COUTEAU, NICOLAS BALDEYROU ∙ AMAURY COEYTAUX, ANTOINE DREYFUSS 7

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