11 CLÉMENT LEFEBVRE Les deux Poèmes qui suivent nous font-ils pénétrer dans un univers nouveau ? J’ai voulu avec eux entrouvrir une fenêtre sur la deuxième période créatrice de Scriabine. Les Deux Poèmes opus 32 sont les premiers de près d’une trentaine qu’il a composés. D’une écriture très concentrée qui fait leur force expressive, on peut les définir comme des aphorismes musicaux. La grâce, le raffinement, la sensualité des courbes mélodiques que l’on trouvait dans les Impromptus sont toujours là, mais leur traitement harmonique est tout autre par les retards et glissements qui les rendent évanescents. Le premier Poème apporte une sensation d‘apaisement extrême par ses sonorités impalpables et le balancement de son rythme : on ne sait pas où l’on va, ni réellement où l’on est, mais on n’y attache aucune importance ! On y vit l’instant présent d’une façon assez unique. Lorsque je le joue, il me donne la sensation de l’improviser. Le second, presque disproportionné au regard de sa durée, est plus déconcertant. On pourrait être tenté de privilégier son caractère conquérant et fier, « confiant » (con fiducia) comme le stipule Scriabine, en négligeant le terme « élégant », première didascalie qu’il emploie et qui a selon moi une importance primordiale. Il y a un équilibre subtil à trouver entre les deux. Avec ces Poèmes, on quitte le souffle romantique de la Sonate et de la Fantaisie, leur façon de parler à la première personne, pour entrer dans un univers indiciblement envoûtant.
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