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9 FLORIAN NOACK C’est tout Berlin qui est indécent en ces temps-là : les cabarets y sont plus outrageux qu’ailleurs et Munich commence à grogner en écoutant de loin ces compositeurs juifs qui secouent le patrimoine : Weill et ses héros meurtriers, Spoliansky qui écrit le premier hymne homosexuel, et Schulhoff qui s’encanaille avec le jazz. Les deux premiers pourront bientôt fuir, Schulhoff périra dans les camps. La fête berlinoise est effrénée, sexuelle, alcoolisée, pleine des paradis stupéfiants : une certaine Allemagne veut oublier la Grande Guerre, et pendant que sa fête bat son plein, les plus vigilants prennent déjà la fuite en voyant les fascistes fourbir leurs armes un peu partout pour la guerre suivante. Dans quelques années, toutes ces musiques seront dégénérées, dira-t-on depuis les croix gammées. Pendant ce temps, au Bœuf sur le toit, il y a du monde, tellement de monde, et parmi toutes ces têtes qui boivent et qui fument, on distingue Jean Cocteau qui frappe un tambour et Francis Poulenc qui regarde la troupe d’un œil malicieux. Igor Stravinsky n’est pas loin, il prend des notes. C’est la cohue, on ne sait plus ce qu’on écoute. C’est normal, c’est du jazz. C’est dans ce brouhaha que certains mots jaillissent, des noms, des mots : stride, cette musique qui lance la main gauche des pianistes à l’assaut de basses périlleuses ; Fats Waller… Fats ? Mais oui, parce qu’il est dodu, mais son jazz vous fait bouger comme un démon… Plus ancré, James P. Johnson. Qui ça ? Johnson et son ragtime qui a percé les frontières. Une basse, un accord, une basse un accord, et des syncopes qui turlupinent les valseurs.

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