4 FAURÉ ∙ NOCTURNES Vous avez consacré votre premier enregistrement en solo à Beethoven. Pourquoi alors avoir fait attendre Fauré ? J’ai aussi un lien très fort avec la musique de Beethoven. Plus nettement structuré, son langage clair, direct m’a semblé mieux convenir à un premier disque. Il en est tout autrement de celui de Fauré où rien n’est jamais vraiment résolu. C’est une musique de paradoxes. Le compositeur y entretient une forme d’équivoque. Elle nécessite une gestation longue, impose une temporalité particulière dans laquelle l’interprète se doit d’entrer pour parvenir à fixer sa vision. Insaisissable, elle nous confronte à cette difficulté lors de l’enregistrement. Comment définiriez-vous ces paradoxes ? Il est difficile de trouver les mots pour traduire ce que la musique de Fauré exprime. Pour Vladimir Jankélévitch, elle s’adresse à l’oreille, elle n’est pas une calligraphie projetée dans l’espace. Je l’éprouve par la sensation. L’entrecroisement de ses lignes, ses phrases immenses offrent une pluralité de chemins. Au moment où on la joue, ou celui où on l’écoute, on perçoit ces voies possibles. Le compositeur semble proposer un choix, mais en réalité il a déjà défini une direction, et nous conduit sur une voie imprévisible. C’est ce qui rend sa musique addictive ! Ce paradoxe qui mêle intimement harmonie et mélodie sous-tend son discours. C’est une musique dont on est le héros !
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