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5 PHILIPPE BIANCONI Vous avez enregistré une première fois l’œuvre pour piano de Ravel il y a près d’une trentaine d’années. Quel regard portez-vous sur celle-ci à présent ? Philippe Bianconi : J’ai retrouvé des émotions intactes, tout en réalisant à quel point cette musique a fait son chemin en moi. Ce nouvel enregistrement a rendu plus fort et plus personnel le rapport que j’ai depuis toujours à l’œuvre de Ravel. J’ai redécouvert le bonheur du son ravélien, mais j’ai également pris la mesure de la face sombre de sa musique. Avec le temps, et lors de cette année que j’ai passée à travailler avant l’enregistrement, j’ai réalisé que je l’avais auparavant perçue de façon plutôt univoque : irradiante, diurne et claire. Ce versant sombre, et même parfois tragique, n’existe pas seulement dans le Concerto pour la main gauche ou dans Gaspard de la nuit . Je le ressens avec davantage d’acuité aujourd’hui. Je pense par exemple à certaines pages des Miroirs et à la Sonatine qui semble au premier abord si radieuse. Monde clos, celle-ci renferme un sentiment particulier qui s’apparente à la solitude, mais aussi des élans bouleversants. Son premier mouvement contient un épisode douloureux, et son finale en forme de toccata habité d’une certaine fureur s’achève dans une sorte de libération par un cri de victoire, une frénésie qui fait tout exploser, l’extrayant de l’ombre pour la hisser vers la lumière. La Sonatine est comme un ciel traversé de nuages qui à la fin se dissipent. De même, les Jeux d’eau avec leurs notes haut perchées ne sont plus aujourd’hui si uniformément lumineux à mon oreille : l’œuvre révèle des contrastes, entre passages étincelants et creux dépressifs - écoutez ces notes de la basse lorsque le thème initial revient ! Et que dire du Menuet du Tombeau de Couperin , cette pièce d’une clarté sereine qui cache en son sein, dans sa Musette, une noirceur, un sentiment dramatique bouleversant !

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