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9 PHILIPPE BIANCONI L’expressivité, la sensualité, mais aussi votre rapport personnel à l’œuvre de Ravel me conduisent à évoquer la part de liberté que l’interprète peut s’octroyer avec une musique d’une telle méticulosité et d’une telle pudeur. Est-elle possible et comment la définiriez-vous ? Si cette question cruciale de la liberté se pose quel que soit le répertoire abordé, elle est poussée à un extrême point d’acuité lorsque l’on interprète Ravel. On pourrait très facilement se dire qu’on ne peut rien se permettre et jouer les notes comme l’intime le compositeur, mais sa boutade est aussi une provocation ! Il avait une idée tellement exacte de la façon dont il voulait que sa musique sonne qu’il se méfiait des tempéraments parfois trop envahissants des interprètes de son époque et de leurs initiatives. Je n’ai pas une personnalité qui me pousse à l’extravagance. Mais il y a ce terme « expressif » qui est là, partout dans sa musique, incontournable ! Comment le traduire ? Travailler le galbe de la phrase, la matière, le son jusqu’à son acmé, ou l’agogique en usant d’une relative liberté rythmique dans la manière de la conduire ? Dans les Valses nobles et sentimentales , faut-il par exemple suspendre un peu le deuxième temps de la mesure, comme on le fait dans la valse viennoise ? Davantage formelle qu’organique, sa musique a des lignes très classiques, une carrure. Il y a un dessin typiquement ravélien que l’on rencontre également dans l’élément mélodique. Outre la couleur et ses sonorités aquatiques, Ondine recèle une mélodie d’une beauté inouïe, d’une perfection bouleversante. Faut-il simplement jouer ses notes et la laisser naturellement se développer ? A-t- on besoin de lui rajouter quelque chose ? Ne pas appuyer ou rechercher les effets, laisser la phrase s’épanouir, la laisser respirer tout en s’efforçant d’être expressif… voilà la difficulté de cette musique ! Elle réclame du tact, de la subtilité, cela tient souvent à des inflexions très fines.
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