LDV14
La Barcarolle ou l’art du dernier Chopin à son apogée… L’écriture parvient à une richesse inouïe : profusion harmonique, polyphonie parfaitement intégrée au tissu musical. D’abord il y a cette introduction extraordinaire avec cette neuvième majeure - une porte ouverte sur l’avenir – qui explose et se défait en une succession d’accords où se profilent, comme en bien d’autres endroits de l’œuvre, les recherches de l’impressionnisme. Passée cette courte introduction, on commence avec un très simple accompagnement de barcarolle : on est loin d’imaginer tout ce qui va se construire à partir de là, avec une liberté qui se découvre peu à peu. On a l’impression qu’il n’y a plus d’angle, de contour, l’œuvre coule avec un naturel absolu et des harmonies étonnantes. Juste avant le passage inouï noté dolce sfogato , un moment où le temps est suspendu, on trouve une série d’accords dans le bas médium qui modulent par glissement chromatique (mes.72 à 77) ; c’est quasiment déjà du Wagner et l’on ne peut s’empêcher de songer à l’Acte II de Tristan … Chopin est allé très loin dans la Barcarolle , un peu comme s’il avait déjà atteint un autre rivage. La luminosité italienne dont je parlais plus haut est ici plus diffuse, adoucie par un peu de brume, et les eaux de la lagune vénitienne, où Chopin n’est jamais allé, lui inspirent un chef-d’œuvre où la mort est abordée avec une sérénité enfin conquise, dans ce que Ravel appelait « une mystérieuse apothéose ». 13 PHILIPPE BIANCONI
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